Sur Golarion, les paladins d’Iomédaé ont rassemblé un groupe d’aventuriers, volontaires ou suicidaires, dont je fais partie. Explorer des lieux inconnus est l’une de mes passions, et ma curiosité naturelle m’empêche souvent de refuser ce genre d’opportunité.
Mais commençons par le début, ou du moins par ce que j’en sais. Les paladins d’Iomédaé ont enquêté sur un village ravagé, où un nécromancien aurait transformé la plupart des habitants en morts-vivants avant de disparaître avec eux à travers un portail. Les rares survivants ont rapporté ses derniers mots avant qu’il ne franchisse l’ouverture : il était un elfe — ou du moins, il avait les oreilles pointues — et murmura : « À nous deux, Strahd. »
Le problème, c’est que le portail est resté actif depuis son départ, et nul ne sait ce qui se cache derrière.
Nous avons traversé.
De l’autre côté, le portail avait disparu — ou se tenait-il simplement caché, invisible à nos regards, comme un spectre échappant à la lumière ? Après une marche courte mais lourde de présages, nous avons atteint un village nommé Barovie. Le lieu était sinistre, imprégné d'une atmosphère lourde et oppressante, encerclé par des meutes de loups hurlant dans la brume et envahi par des nuées de chauves-souris voletant telles des ombres. Par prudence, j’ai gardé Guis près de moi, surtout lorsque le familier de Morwen se métamorphosa subitement en un squelette décharné, ses os cliquetant comme un avertissement macabre.
Rapidement, nous avons appris que cette terre était sous le joug d’un seigneur vampire d’une cruauté sans égal. Le fils du bourgmestre, le regard empli de terreur, nous a suppliés de venir en aide à sa sœur, la proie de ce vampire implacable. Nous avons passé la nuit sous leur toit, mais le calme n’a été qu’illusion : une tentative du seigneur des lieux de s’emparer de sa victime troubla notre sommeil. Un combat terrible s’engagea contre ses serviteurs, des créatures sans pitié, mais nous résistâmes, accrochés à notre dernière lueur d’espoir, jusqu’à ce que l’aube fendît les ténèbres de son premier rayon.
Ce monde, décidément étrange, défie toute logique : ses nuits sont d’une obscurité oppressive, un voile de ténèbres qui semble dévorer l’âme elle-même, tandis que ses jours, bien que baignés de lumière, restent hantés par une pâleur crépusculaire, comme si le soleil lui-même avait peur de briller ici.
Au matin, alors que le vieux bourgmestre était mort « naturellement », son fils et sa sœur nous supplièrent de les escorter jusqu’à la ville la plus proche, là où le seigneur vampire aurait plus de mal à l'atteindre. Mais avant cela, il nous fallait organiser les funérailles. Nous nous rendîmes donc chez le prêtre du village. C’est là que nous découvrîmes une horreur dissimulée sous les planches du sol : son propre fils, transformé en vampire novice.
Comme on pouvait s’y attendre, les paladins n’hésitèrent pas une seconde. Ils ouvrirent l’accès au sous-sol sans la moindre précaution, une témérité qui leur coûta cher. Chairadragon se fit surprendre par l’attaque fulgurante du vampire novice qui le mordis. Après une scène de chaos indescriptible, nous parvînmes enfin à éradiquer la menace, mais la morsure du paladin drakéide restait préoccupante. Il prétendait que ce n’était rien, mais il allait nous falloir le surveiller de près.
Nous confions l’enterrement du bourgmestre au prêtre et prîmes la route vers Valaki avec nos protégés. Le voyage devait durer deux jours, mais le seigneur vampire ne renoncerait pas si facilement. Et, bien entendu, impossible de mettre la main sur une carte de cette région maudite (pardon, frustration de cartographe). Nous dûmes nous contenter d’une direction approximative et d’une route incertaine.
Le voyage semblait bien commencer. Pas de mauvaises rencontres… mais un très mauvais départ. Chairadragon commençait à se comporter de manière étrange. Après quelques tests, nos craintes se confirmèrent : il montrait des signes évidents de vampirisme. Le paladin tieffelin et l’éclaireuse elfe voulurent immédiatement l’exécuter. Mais nous, les autres — moi y compris — préférâmes attendre, espérant que la transformation s’arrêterait, puisque nous avions détruit le vampire responsable de sa morsure.
Sous la pression du tieffelin et de l’archère, Chairadragon finit par prendre la fuite. Vall’Keyria tenta de lui tirer dessus, mais Hélène l’en empêcha d’un rayon sacré, brisant l’air d’une éclatante lumière divine.
Le jour s’effaça rapidement, et une nouvelle question se posa : où allions-nous passer la nuit ?
C’est alors qu’une lueur apparut dans une clairière. Plus nous approchions, plus une mélodie envoûtante nous parvenait. Un campement de Vistanis, un peuple itinérant, s’étendait devant nous. Ils nous accueillirent chaleureusement lorsque nous nous présentâmes poliment. J’avais eu une première impression mitigée sur eux après avoir croisé quelques-uns de leurs semblables à la taverne du village, mais il semblait que mon jugement avait été hâtif.
La soirée se déroula dans une atmosphère conviviale. Nous retrouvâmes même une ancienne compagne de voyage, une prêtresse séparée du premier groupe, qui souhaitait désormais rejoindre le nôtre. Puis, nous fûmes invités sous la tente de leur matriarche, une puissante voyante. Elle semblait nous attendre et connaissait des détails troublants sur chacun de nous. Elle nous délivra des prédictions énigmatiques sur notre avenir. J’espère qu’elle a raison — car si elle voit un futur pour nous, c’est que nous avons au moins une chance de survivre à ce monde. Enfin, elle nous mit en garde : ne surtout pas entrer dans le vieux moulin sur notre route.
Avant de dormir, les Vistanis nous prêtèrent l’une de leurs roulottes, qu’ils considéraient comme une maison. Cette appellation nous serait utile plus tard.
Une visite inattendue
Nous organisâmes des tours de garde. Bien entendu, l’imprévu survint pendant le mien. Alors que la nuit était bien avancée et que je commençais à peine à m’habituer au silence du campement, un bruit attira mon attention. Quelqu’un frappait à la porte de notre roulotte.
— À qui ai-je l’honneur ? demandai-je par réflexe.
— Pardonnez-moi, je me présente. Je suis le baron Strahd Von Zarovitch, me répondit une voix suave.
Mon sang se glaça. Mon cerveau mit quelques secondes à associer ce nom au seigneur vampire qui régnait sur ces terres.
La conversation qui suivit fut aussi terrifiante qu’instructive. Il réclamait ce qu’il considérait comme son dû, et moi, je refusais obstinément d’ouvrir la porte. Il tenta même de me séduire avec des promesses de savoirs anciens et de pouvoirs incommensurables.
Au final, il déclara qu’il nous attendrait au château de Ravenloft et laissa une lettre d’invitation sur le pas de la roulotte. Il ajouta qu’il enverrait un carrosse pour nous dans la matinée, avant de s’éloigner en direction de la tente de la matriarche.
Ce n’est qu’à cet instant que je recommençai à respirer normalement. Je terminai mon tour de garde en ruminant cet échange, puis, au lever du jour, je racontai tout aux autres. Bien entendu, je n’avais aucune intention de monter dans ce carrosse. Mais je conservai tout de même l’invitation. On ne sait jamais.
Départ du campement des « Vistanis » avec une lourde appréhension. En effet, il reste encore une journée et demie de voyage avant d'atteindre Valaki. La nuit prochaine, j’en suis convaincu, le seigneur vampire viendra nous rendre visite, et nous allons sans doute y passer. Surtout si nous ne trouvons pas un abri digne de ce nom. Il semble que, pour l’instant, le moulin que nous devons absolument éviter soit la seule habitation sur notre trajet. Après délibération, nous nous sommes mis d’accord : nous irons jusqu’au moulin et aviserons sur place. Et c’est ce que nous avons fait, malgré le vieux fou en pagne et ses quelques buissons mobiles qui semblaient vouloir nous en dissuader. On raconte que c’est un druide local, mais tous les druides de ce coin semblent fous ! Encore un effet secondaire de ce mystérieux plan.
À noter : une rencontre étrange a eu lieu sur le chemin. Un mort-vivant solitaire se dirigeait apparemment vers le château de Ravenloft. Nous avons pu échanger quelques mots avec lui (prudemment, bien sûr), puisqu’il ne nous a pas attaqués. Il nous a demandé si nous étions ennemis du seigneur vampire, et comme nous avons répondu affirmativement, il nous a conseillé de nous rendre à certaines ruines.
Finalement, nous sommes arrivés devant le moulin,que nous devions absolument éviter, et qui semblait abandonné. La nuit tombait rapidement. Morwen proposa d’envoyer son familier espionner par les fenêtres, et je n'avais aucune objection. Le familier s’éleva dans les airs, se dirigeant vers les fenêtres du moulin. À peine Morwen nous rejoignit-elle qu’elle nous expliqua pourquoi il fallait absolument éviter d'entrer. Le moulin semblait être habité par plusieurs guenaudes, des créatures redoutables. D’après elle, il s’agissait de guenaudes noires, les plus puissantes et les plus dangereuses. Une menace mortelle, assurément.
Nous avons alors commencé à débattre. Personnellement, je considérais que tenter de pénétrer dans le moulin pour affronter les guenaudes noires relevait d'un acte quasi suicidaire. D'un autre côté, continuer sur la route pour rencontrer immanquablement le seigneur vampire n'était que pure folie. J’étais pour la première option. C’est alors que Morwen eut une idée : passer par la forêt et tenter notre chance. J’étais contre, pensant que cela nous mènerait à la même fin que de suivre la route. Cependant, alors que le temps filait, nous aperçûmes au loin un groupe d’individus se dirigeant dans notre direction. Le soleil crépusculaire de cette terre maudite n’était pas encore tout à fait « couché », et les silhouettes non humaines qui s’approchaient se dévoilaient lentement.
Morwen demanda un vote pour trancher la direction à prendre, et la majorité choisit la forêt. Je suivis le groupe à contrecœur. Ce fut une course effrénée, les bruits derrière nous indiquant clairement que nous étions poursuivis. Mais nous parvînmes à prendre de l’avance en nous réfugiant sur une falaise. Chacun l’escalada à sa manière (corde, saut, sortilège, etc.). J’utilisai la corde et réussis à m’en sortir sans encombre. Morwen trouva un raccourci qui nous permit d’arriver à Valaki avant que la nuit ne soit complètement tombée. Elle avait eu du flair sur ce coup-là.
Les gardes en poste derrière la grille d’entrée étaient récalcitrants à nous laisser entrer. Mais dès que nous mentionnâmes le nom du bourgmestre de Valaki, la grille s’ouvrit dans un grincement sinistre, et nous nous précipitâmes à l’intérieur. Une fois à l’intérieur, nous nous empressâmes de trouver une auberge où poser nos affaires et souffler un peu. Demain, nous irons rendre visite au bourgmestre.
Le lendemain matin, après avoir récupéré de la fatigue, du stress et des petits « bobos » du voyage, nous avons savouré un solide petit déjeuner. L’air de Valaki était plus respirable que celui des routes hantées de la veille, mais une étrange atmosphère pesait toujours sur la ville.
Accompagnés du frère et de la sœur, nous avons pris la direction de la demeure du bourgmestre. En chemin, nous avons croisé des préparatifs pour un festival. Ici, les habitants semblent s'accrocher désespérément à ces festivités, comme s’ils voulaient masquer une peur plus profonde.
Finalement, nous sommes arrivés devant la plus imposante bâtisse de la ville. L’endroit respirait une richesse austère, et l’accueil fut à la hauteur : nous avons été reçus par le bourgmestre lui-même, son épouse et un homme qui semblait être son « lieutenant ».
Après les explications du frère et de la sœur, le bourgmestre a accepté de leur venir en aide, mettant officiellement fin à cette mission. Mais au moment où la discussion touchait à sa conclusion, mon regard a croisé celui du « lieutenant ». Son regard posé sur la sœur n’avait rien d’innocent… et je n’ai pas du tout aimé ça.
Puis, alors que la jeune femme racontait notre périple, le bourgmestre a commencé à s’intéresser à nous. Lorsque le frère et la sœur sont repartis à l’auberge, il nous a proposé une tâche confidentielle : deux de ses serviteurs avaient mystérieusement disparu dans sa propre demeure. Il souhaitait que nous menions l’enquête en toute discrétion.
L’affaire était louche, et nous avons accepté.
Nos recherches ont rapidement mis en lumière une contradiction : le bourgmestre jurait qu’il n’y avait rien de magique dans sa maison… mais nous avons trouvé des traces indéniables de sorcellerie. Nous avons suivi plusieurs pistes jusqu’au grenier, dont l’accès était scellé par un puissant sortilège.
Morwen, avec patience et dextérité, a réussi à briser la protection. À peine la porte entrouverte, ma détection magique a révélé une présence invisible. Quelqu’un se cachait là.
Le paladin s’est avancé, prêt à frapper, et en un instant, l’intrus fut maîtrisé. Mais la surprise fut de taille : il s’agissait du fils du bourgmestre. Un autodidacte en magie, qui menait des expériences dans le dos de son père.
Il nous avoua, non sans nervosité, être responsable de la disparition des serviteurs. Son étude d’un cercle de téléportation défectueux les avait envoyés on ne sait où. Une faute tragique… mais un exploit pour un mage sans maître.
Nous avons tout révélé au bourgmestre, qui nous a récompensés pour notre discrétion. Chacun ses secrets de famille…
J’ai alors profité de l’occasion pour lui demander l’accès à sa bibliothèque privée, probablement la meilleure source de savoir dans cette région isolée. J’y ai passé plusieurs heures, et bien que les archives ne soient pas aussi riches que je l’espérais, j’ai trouvé une carte sommaire de la région. Un début précieux, que je pourrai compléter avec le temps.
Pendant ce temps, mes compagnons étaient partis explorer la ville.
Quand j’ai enfin quitté la demeure du bourgmestre, il faisait encore jour. L’envie d’en apprendre plus sur Valaki m’a poussé à flâner dans les ruelles. Cette ville avait quelque chose d’étrange, une tension latente sous son vernis festif. Mais ma promenade n’a pas été vaine : j’ai trouvé une boutique où j’ai pu acheter un étui à carte. Un détail pratique, mais aussi une confirmation : j’étais bien décidé à comprendre cette terre maudite.
De retour à l’auberge, une nouvelle opportunité s’est présentée à nous.
L’aubergiste, un homme affable mais inquiet, nous a proposé une mission. Sa dernière livraison de vin n’avait pas eu lieu, et il craignait de bientôt manquer de stock. Il nous a demandé d’aller chercher sa commande dans une cité voisine.
Mais ce fut un détail de son récit qui nous fit tressaillir : en nous décrivant l’itinéraire, il mentionna une tour de mage au bord d’un lac et certaines ruines.
Ces lieux… Ils faisaient partie des visions prophétiques de la voyante.
Aussitôt, nous lui avons demandé de marquer ces informations sur la carte que j’avais entamée. Ce n’était plus une simple course pour du vin…
Nous avons accepté la mission, conscients que nous nous approchions, peut-être, d’une vérité plus grande encore.
Nous avons repris la route dès l’aube, en direction du domaine du père de l’aubergiste. En chemin, nous avons décidé de visiter certains lieux liés aux prophéties, à commencer par la tour d’un mystérieux mage. D’après la carte que j’ai commencée à dessiner et les indications de l’aubergiste, un raccourci existe : en quittant la route principale et en traversant une portion de forêt, nous pourrions rejoindre la tour plus rapidement.
Je n’étais pas très enthousiaste à l’idée de m’enfoncer dans les bois – surtout en Barovie – mais j’ai suivi le groupe. Comme on pouvait s’y attendre, nous avons été attaqués par une meute de loups, de plusieurs espèces. Heureusement, j’ai eu le réflexe de demander à Jimbé de m’aider à grimper dans un arbre pour pouvoir appuyer mes compagnons depuis une position plus sûre. J’ai lancé mes attaques depuis les hauteurs tandis que mes camarades affrontaient les bêtes au sol. Le combat fut rude ; submergés par le nombre, mes compagnons ont encaissé de lourds coups, mais nous avons finalement triomphé sans perdre personne.
Après un court repos, nous avons poursuivi notre route et sommes arrivés à la fameuse tour. Devant l’entrée, une étrange carriole au style gothique nous attendait. Sans monture, avec une porte arrière verrouillée d’un énorme cadenas et un panneau bien visible indiquant "Ne pas ouvrir". J’ai lancé une détection magique : l’intégralité du chariot irradiait d’une puissante aura de conjuration. Je me suis ensuite tourné vers la tour, dont la massive porte métallique dégageait une énergie mêlant magie d’évocation et de conjuration.
Pendant que j’inspectais les alentours, Morwen s’était approché du chariot et avait découvert que sa porte arrière était piégée. Je fis alors le tour du bâtiment, accompagné de l’archère, et repérai une fissure suffisamment large pour permettre un passage. Non loin, un échafaudage en ruine témoignait de travaux abandonnés depuis des décennies. J’envoyai Guis, mon familier, inspecter l’intérieur, mais je lui interdis d’entrer : ce qu’il aperçut au travers de la fissure confirmait mes soupçons. Les murs et planchers étaient en piteux état, et seul le dernier étage semblait encore relativement intact.
Soudain, une explosion lumineuse éclata dans le ciel. Alertés, nous rejoignîmes nos compagnons pour découvrir que Morwen était à l’origine du signal. Il venait d’ouvrir le chariot et d’en récupérer plusieurs objets. Apparemment, il avait trouvé un moyen d’y pénétrer sans déclencher de malédiction – une initiative que j’appréciais. Parmi les objets, rien de magique, mais quelques artefacts intéressants.
Nous avons alors reporté notre attention sur la porte de la tour. Elle ne comportait ni poignée, ni serrure classique, mais un disque gravé représentant des silhouettes stylisées en mouvement, surmontées d’un mot que je traduisis immédiatement : "danse" ou "animation". Morwen comprit vite : le disque était la serrure et la clé n’était autre qu’une gestuelle bien précise. Il exécuta la danse gravée sur le disque et, à notre satisfaction, la porte s’ouvrit lentement.
Mais avant que nous puissions entrer, la voix de la prêtresse nous interrompit : "Le repas est prêt ! Venez vite avant qu’il ne refroidisse !" À ce moment-là, une délicieuse odeur me parvint, et mon estomac gargouilla en réponse. Après une rapide discussion, le groupe décida de profiter du repas, d’autant plus que le prêtre nous assura qu’il nous conférerait une bénédiction temporaire.
Notre plaisir fut toutefois de courte durée. Alors que nous nous restaurions, la porte de la tour se referma lentement. Quelqu’un devait refaire la gestuelle du disque pour la rouvrir. Morwen, lassé, refusa de s’en charger, laissant le paladin s’y essayer. Mauvaise idée. Il se trompa… et un jeune dragon bleu apparut sur le toit de la tour.
L’espace d’un instant, nous restâmes figés, avant que je ne perçoive un lien magique entre la créature et la porte. Je fis immédiatement part de ma découverte au groupe. Morwen réagit au quart de tour : il se précipita devant la porte et reproduisit la bonne gestuelle. Instantanément, le dragon disparut dans un éclat d’énergie. Soulagés, nous reprîmes nos esprits avant d’entrer enfin dans la tour.
À l’intérieur, nous découvrîmes un dispositif curieux : une plateforme reliée à des chaînes, elles-mêmes maintenues par quatre statues d’argile. Il s’agissait d’un ascenseur rudimentaire. En montant dessus et en annonçant "troisième étage", les statues activèrent le mécanisme et nous hissèrent vers le dernier étage – le seul encore viable.
La pièce ressemblait à une chambre en excellent état. Un détail, cependant, attira immédiatement notre attention : une armure imposante reposait dans un coin. Dès notre arrivée, elle s’anima, attrapa une immense épée à deux mains et s’avança vers nous.
J’hésitai. Cette armure pourrait-elle être le serviteur mentionné dans la prophétie ? Avant que nous puissions en juger, quelqu’un prononça "rez-de-chaussée" et la plateforme redescendit brusquement, nous éloignant du danger. Une fois en bas, nous réalisâmes que Morwen était resté au troisième étage.
Depuis les hauteurs, il nous cria de nous écarter de la plateforme. Nous obéîmes… et vîmes l’armure s’écraser lourdement en contrebas. Malheureusement, elle se releva, presque indemne. Je pris une grande inspiration et eus une intuition. Je prononçai le mot inscrit sur la porte… et l’armure s’arrêta net. Elle obéissait désormais à des ordres simples.
Après avoir réparé la plateforme, nous retournâmes explorer la chambre. Nous y découvrîmes une tête momifiée dans un coffre et, derrière une alcôve où l’armure reposait auparavant, le paladin mit la main sur l’épée de lumière solaire. Une prophétie accomplie… restait à voir si les autres se révéleraient aussi exactes.
Alors que nous attendions Morwen, qui était retourné fouiller le chariot, des hurlements de loups se firent entendre, de plus en plus proches. Une silhouette féminine surgit des ténèbres, en piètre état, poursuivie par la meute. Contre toute attente, elle ne se dirigea pas vers la tour, mais se réfugia sous le chariot.
Les loups approchaient. Dans la panique, j’envoyai un message mental à Morwen pour l’avertir de la fermeture imminente de la porte de la tour. Il réagit vite : lui et la mystérieuse femme se précipitèrent vers l’entrée. Morwen réussit in extremis à rouvrir la porte et nous les fîmes entrer.
Elle se présenta sous le nom d’Esméralda et nous expliqua qu’elle avait attaqué leur seigneur… et échoué. Les loups et loups-garous à ses trousses ne nous laissèrent guère le temps d’en savoir plus.
Le combat fut acharné. J’optais pour une position en hauteur pour attaquer à distance, mais le paladin me suivit pour une raison qui m’échappa. L’ennemi était coriace. Pire, leur chef parvint à survivre à nos premières attaques et revint au combat.
Puis, la tour, déjà délabrée, commença à s’effondrer sous l’impact des affrontements. J’eus juste le temps de sauter par une fenêtre et de me téléporter au sol, échappant de peu à l’éboulement. Tous en sortirent blessés, mais vivants.
Esméralda nous proposa de partir à bord de son chariot magique. Je n’étais pas contre.
(Note pour plus tard : trouver des armes en argent… et éviter les tours branlantes.)
Nous accompagnons donc Esméralda dans son chariot magique, profitant de ce moment pour souffler un peu et échanger quelques mots (surtout moi) avec elle. Elle nous apprend qu’elle est une chasseuse de monstres, formée par un certain Van Richten, et qu’elle est une Vistana. À l’entendre, elle a déjà affronté Strahd… et a dû fuir, grièvement blessée.
En chemin, elle nous demande où nous souhaitons être déposés, précisant qu’elle compte se rendre à Valaki. Nous lui parlons du domaine viticole, et elle accepte de nous laisser à l’entrée du chemin qui y mène. Comme nous avons quelques heures de voyage devant nous, la conversation se poursuit. Esméralda nous confie qu’elle est à la recherche de son instructeur, le fameux Van Richten, et nous met en garde : il faut se méfier de certains Vistanis. Deux factions existent parmi eux, les anciens fidèles aux traditions et ceux qui servent d’espions à Strahd.
Un détail me frappe : au fil de la discussion, je soupçonne qu’Esméralda est également une lanceuse de sorts.
Finalement, nous arrivons à destination. Elle prend congé et reprend la route vers Valaki tandis que nous poursuivons notre chemin à pied.
Rapidement, une sensation désagréable nous gagne : nous sommes observés.
Alors que nous progressons, nous apercevons enfin la silhouette d’un homme mystérieux qui nous fait signe d’approcher. En m’attardant sur lui, je remarque qu’il semble âgé et qu’une aura de transmutation flotte autour de lui. Il se présente comme le patriarche du domaine viticole et nous apprend que des druides ont envahi les lieux, chassant sa famille et lui-même. Il nous explique qu’il commence à se faire tard et nous propose un marché : veiller sur notre repos en échange de notre aide.
Je pousse un soupir. Moi qui pensais que nous pourrions enfin nous accorder un vrai répit après notre arrivée au domaine viticole… surtout pour le paladin, qui en aurait bien besoin. Mais bon, à vrai dire, avons-nous seulement le choix ?
Le lendemain, nous nous mettons en marche pour le domaine, non sans appréhension. L’endroit est relativement simple : un manoir entouré de vignobles. Il semble que le patriarche et les siens fabriquent leur vin à l’intérieur même du manoir. Le temps est maussade ce matin, avec des nappes de brume et une forte humidité.
Nous avançons sur le chemin principal, attentifs à notre environnement. Bien que le patriarche nous ait avertis que l’invasion druidique était principalement constituée de créatures végétales, la route semble déserte. Personnellement, je me méfie des vignes qui bordent le sentier, idéales pour une embuscade. Mes craintes se confirment lorsque nous avons parcouru plus de la moitié du chemin : les créatures surgissent de toutes parts, bien trop nombreuses pour être affrontées de front. Une seule option s’impose : courir vers le manoir.
Nous atteignons l’entrée en catastrophe, mais les premières portes sont verrouillées. Heureusement, l’une d’elles cède, et nous nous engouffrons à l’intérieur. Le manoir est composé de nombreuses petites pièces de vie et de grandes salles remplies de cuves. Les créatures végétales ne nous suivent pas, du moins pour l’instant. Nous poursuivons l’exploration et ne croisons rien d’anormal, hormis une nuée de corbeaux rassemblés dans la plus grande salle du rez-de-chaussée. Leur aura étrange rappelle celle du patriarche. J’essaie d’entrer en communication avec eux, sans succès.
Nous nous aventurons ensuite à l’étage. C’est là que Jumbé, qui explore seul certaines pièces malgré ses blessures, tombe sur un ennemi. Depuis le couloir, nous l’entendons soudainement lutter. Il recule précipitamment hors d’une pièce, poursuivi par une créature végétale. Vall'Keyria et les autres ripostent immédiatement, l’abattant d’un tir bien placé qui la projette à travers une fenêtre. Mais une druidesse surgit à sa suite. Cette fois, je participe au combat, et elle périt sous nos assauts.
Nous poursuivons notre progression jusqu’au toit, où nous avons une vue d’ensemble du domaine. J’avais laissé Guis à l’extérieur pour la même raison. Nous apercevons alors plusieurs dizaines de créatures végétales et trois ou quatre druides. L’un d’eux, porteur d’un bâton inhabituel, semble être leur chef. Comme on pouvait s’y attendre, ils encerclent le manoir.
Nous décidons de terminer l’exploration avant d’élaborer un plan. Il ne nous reste que les sous-sols. C’est là que les vraies difficultés commencent. En plus des réserves d’alcool, un groupe de druides s’affairent sur les tonneaux. Le combat éclate immédiatement. L’étroitesse des lieux nous évite d’être submergés.
La bataille se structure rapidement :
Nos combattants au corps-à-corps bloquent l’entrée, face aux druides les plus redoutables.
Le reste du groupe apporte un soutien à distance.
Morwen et Jumbé affrontent un druide particulièrement puissant. Vall'Keyria tente de les rejoindre, mais l’espace manque. J’en profite pour tester un sort de zone nouvellement acquis : Colère des Damnés, qui brûle et entrave ses cibles. L’effet est redoutable, mais le druide chef résiste. Blessé, il se métamorphose pour se régénérer et lance à son tour un sort de zone, nous infligeant de lourdes blessures. Nous ripostons avec tout ce que nous avons et finissons par l’abattre à l’usure.
Le repos est de courte durée. À l’extérieur, les forces druidiques se regroupent. Morwen suggère alors une solution : détruire le bâton du chef ennemi. Reste à s’en approcher. Je lui propose de profiter de la brume et de la pluie pour se déguiser en druidesse. Son subterfuge fonctionne, mais les créatures végétales perçoivent autre chose que la simple apparence et commencent à converger vers elle. Voyant sa couverture compromise, Morwen se rue vers sa cible, s’approprie le bâton et le brise. Immédiatement, toutes les créatures végétales disparaissent.
Nous tentons alors de fuir, mais les druides restants nous prennent en chasse. Alors que tout semble perdu, des corbeaux fondent sur eux et se transforment en combattants. Avec leur aide, nous avons une chance. Nous nous battons avec acharnement. Je suis gravement blessé, et mes souvenirs se brouillent. Lorsque je reprends conscience, nous sommes victorieux.
Le patriarche nous apprend alors une nouvelle désastreuse : leur domaine est condamné. Leur vin dépendait de trois pierres magiques, mais la dernière a été volée par les druides. En remerciement pour notre aide, il partage des informations précieuses. Grâce à la prêtresse, nous interrogeons les cadavres ennemis et découvrons qu’un rituel est en cours, visant à invoquer une créature végétale titanesque. Il doit s’achever dans deux nuits et Strahd lui-même y participera.
Grâce aux interrogations magiques menées sur les druides, nous avons obtenu plusieurs informations cruciales, dont trois moyens potentiels d’empêcher la finalisation du rituel. Mais cette découverte en entraînait une autre : les habitants du domaine viticole étaient toujours en danger. Le patriarche, qui avait assisté à nos questions, paraissait profondément inquiet.
Moi-même, je ne pouvais ignorer l’image des familles avec leurs enfants, réfugiées dans le manoir, vulnérables. Nous devions agir. Lorsqu’une partie du groupe a proposé d’aller aux Collines d’Antan pour saboter le rituel, je n’ai pas hésité un instant et j’ai immédiatement rejoint la majorité qui penchait pour cette option.
Vint alors la question du "comment". Nous ne pouvions pas perdre de temps. Chaque heure qui passait rapprochait les druides de leur objectif, et nous n’avions qu’une seule journée devant nous pour régler ce problème. Certains d’entre nous ont demandé au patriarche s’il disposait d’un moyen de transport rapide – une carriole, une charrette, n’importe quoi qui puisse nous faire gagner du temps. Il nous répondit alors qu’il avait pris des dispositions : une personne allait se détourner de son trajet vers Vallaki pour venir nous chercher.
Une intuition me traversa l’esprit. Et lorsque, après de longues heures d’attente, un chariot tiré par des chevaux spectraux apparut à l’horizon, je ne pus m’empêcher de sourire. J’aurais dû parier.
Notre conductrice n’était autre qu’Esmeralda, notre Vistani préférée. À peine descendue de son véhicule, elle nous expliqua la raison de son retard : en route, elle avait intercepté un convoi suspect de Vistanis. Soupçonnant un lien avec Strahd, elle avait agi sans attendre et capturé trois individus.
Son instinct ne l’avait pas trompée. Parmi eux, deux véritables Vistanis étaient en réalité des traîtres, travaillant pour le compte du vampire. Quant au troisième prisonnier, c’était une femme appelée Amanda Peine, qui n’était ni une Vistani ni une alliée de Strahd. Elle nous apprit qu’elle était la dernière survivante d’une famille noble ayant vécu au-delà du mur de fumée, cette mystérieuse barrière qui isole la région. Sa famille avait été massacrée, et elle-même transformée en damphir par l’assassin qu’elle traquait sans relâche.
Ce détail seul suffisait à la rendre fascinante, mais ce n’était pas tout. Animée par une soif de vengeance, Amanda avait embrassé l’étude de la magie du sang, une pratique aussi rare que redoutée. Pourtant, contrairement aux mages sombres, elle semblait avoir conservé une certaine moralité : elle utilisait ses pouvoirs pour soigner les innocents autant que pour se venger.
L’interrogatoire des prisonniers ne fut pas particulièrement éprouvant. Nous n’eûmes pas besoin de les menacer ou d’utiliser la force : entre la Zone de Vérité de la prêtresse et ma propre Détection des pensées, ils ne purent que céder. Leur mission était simple : livrer Amanda à Strahd. Une nouvelle qui ne nous surprit guère. Heureusement qu’Esmeralda était intervenue.
Quant au sort des deux traîtres, je laissai les chasseurs de monstres trancher leur destin. De mon côté, je préférais discuter avec Amanda et Esmeralda. Lorsque nous leur avons expliqué notre plan visant à saboter le rituel des druides, elles n’ont pas hésité longtemps.
Esmeralda, qui devait initialement nous accompagner jusqu’au repaire des druides dans le cadre de son accord avec le patriarche, changea immédiatement d’attitude lorsqu’elle entendit mentionner Strahd. Si elle pouvait participer à une bataille où elle aurait une chance d’affronter le vampire, elle n’allait pas laisser passer l’occasion.
Amanda, de son côté, ne cachait pas son intérêt. Elle voyait dans cette mission une occasion d’exercer sa vengeance, mais aussi d’agir pour le bien commun. Et, je dois l’avouer, j’étais soulagé d’avoir à nos côtés une alliée disposant d’une telle puissance magique.
Ainsi, la décision fut prise : nous partirions au matin pour les Collines d’Antan.
D’ici là, il ne restait plus qu’à patienter jusqu’à la fin de la journée. J’ai mis ce temps à profit en sollicitant le patriarche pour enrichir ma carte du territoire. Il me donna des informations précieuses sur des lieux que j’ignorais encore.
La prêtresse, quant à elle, s’occupa d’un travail crucial : purifier les réserves de vin, que les druides avaient empoisonnées. Pour les autres, je ne saurais dire. Sans doute se sont-ils préparés à leur manière pour l’épreuve du lendemain.
Enfin, le soir arriva, et avec lui, un repos bien mérité.